“BeNe GeSSeRiT, JM Charcot, points de vue croisés.”

 

Ils habitent à l'hôtel de la Dune.

Je m'y fais conduire en taxi, chez B. Ghola et Bénédicte G., les deux activistes aux voix, machines et mixages. Manipulateurs de musiques, fidèles en paroles.

C'est un lieu où je n'ai jamais osé remettre les pieds, ici même où dans le passé j'ai bien failli mourir d'une crise cardiaque.
Une sorte de retour à Wonderland.

Le taxi refuse d'aller jusqu'à l'hôtel, et c'est ainsi que je parcours la centaine de derniers mètres à pied, tandis que j'entends la voiture jaune s'encourir derrière moi.

L'accueil est solennel et chaleureux, tout le long du chemin jouent à mon intention des lapins Duracell, des boîtes à musique et des Donalds trapézistes.

La sonnette ne fonctionne plus, je tape au carreau, et quelques instants par après B. Ghola vient m'ouvrir.

- Prenez des pantoufles, mettez-vous à l'aise, il me dit.
- Merci, c'est joli chez vous.
- Suivez-moi au jardin.

Nous passons par la cuisine, Bénédicte G. prépare l'apéritif, des oeufs de caille et des chicons crevettes, elle nous rejoint ensuite dehors.

C'est un jardin un peu sauvage, un pan de mur entier est recouvert de passiflore, un peu plus loin j'aperçois un bassin de nénuphars.

- C'est ici que vous travaillez? je lui demande
BG : - Oui, ici, ou en WonderHolland, nous marchons le long d'autres dunes, et j'enregistre Bénédicte quand elle chante, je retravaille ensuite en studio.

- Vous avez durablement modifié le paysage musical industriel des années 1980 jusqu'à aujourd'hui, quel est votre regard sur les "conditions d'existence" de la scène actuelle, des labels et de la distribution? [j'en appelle à un regard historique, viva la belgica?]
BG : - J'ai cette impression persistante qu'il y a toujours autant d'idées, de musiciens qui créent dans leur cave, mais tout cela reste trop confidentiel, encore plus que dans les années 80. Il n'existe plus de mouvements qui portent une étiquette (comme le punk, l'industriel, la new-wave, etc...), ces mouvements "encadraient" et "supportaient" les groupes et facilitaient leur promotion.
BG : - la scène actuelle est toujours aussi foisonnante et intéressante, les instruments et moyens d'enregistrement (studios digitaux, ordinateurs) sont très peu chers et extrêmement performants : c'est le côté positif... le côté négatif, c'est la quasi-absence de diffusion (distributeurs, disquaires) et de promotion (presse, radio, T.V.) des musiques dites "alternatives" ou "difficiles". Il n'y a presque pas de possibilités de concerts, on m'a même raconté l'histoire effrayante d'un groupe à qui l'organisateur a demandé de payer pour passer en première partie d'un musicien connu. La seule issue est Internet et son réseau de fanzines, radios, sites, on peut y promotionner son propre "produit" et parfois même y vendre quelques CD's.

- Pommes, poires et cadavres exquis, BeNe GeSSeRiT a-t-il encore des extases musicales?
BG : - Plus rarement qu'avant, mais quand nous faisons de la musique, il reste cette magie, cette folie... Nous avons parfois l'occasion de jouer avec d'autres musiciens (Anna Homler, Messy, Daniel Malempré...) qui participent à ces moments d'extâââââses.
BG : - Toute création spontanée est un moment d'extase, et en terme de spontanéité, je suis servi avec B.G.!

- Une question au goût du jour, sans jugement, juste un regard sur ces mots, analogue ou digital?
BG : - Ni l'un ni l'autre, pour moi c'est jouettogue ou jouettal (en anglais : Toyal)
BG : - Analogue ET digital, c'est le mélange idéal!

Nous mangeons à l'intérieur, les soirées sont fraîches malgré la saison, soupe de courgettes, salade de roquette et copeaux de fromages italiens, au son d'acapellistes québécois débusqués en seconde main sur une brocante de Wonderland. Mélange de réflexions et de phrases murmurées, le vin est délicieux et mes pensées s'embrument, en douceur.


- Ce que j'aime bien, et ce en quoi j'ai pour vous un grand respect, c'est votre refus de la frénésie, je veux dire par là qu'il y a une immuable ardeur, une force qui vous pousse à tracer des sillons, simultanément sur de nombreux projets, mais dans l'indifférence de cette course au rendement qui sclérose notre société. Comment faites-vous? (ou plutôt : comment ne faites-vous pas?)
BG : - Il a toujours été naturel pour nous de choisir la qualité de vie plutôt que l'appât du gain, le paraître, la frénésie... Observer la nature me réconforte, me réconcilie avec la vie...
BG : - Disons que je suis un paresseux à personnalités multiples, donc j'exprime les facettes de ces personnalités (cachées) à mon rythme. De toutes façons, je suis incapable d'agir autrement.

- Question perfide, BeNe GeSSeRiT revendique-t-il encore la nationalité helvétique? En clair : BG : le son des alpages ou la route vers l'Orient?
BG : - MOKITOKI OKA OWA!!! Pourtant, l'air des alpages est tellement vivifiant, un stimulant naturel!
BG : - J'ai une profonde admiration pour les Suisses et leur petite île d'irréductibles dans la mélasse un peu nauséabonde qu'est l'Europe... La Suisse c'est le pays le plus proche de la vraie démocratie, un pays de référendums et de vote (votation en langage suisse) libre... tout le contraire du pays dans lequel je vis, mais bizarrement je ne me vois pas finir dans une carte postale.


Au dehors des enfants ramassent des brindilles, puis les amènent à un édifice, "un refuge pour les oiseaux blessés" me confiera Bénédicte G., "nous les hébergeons aussi longtemps qu'ils n'attaquent pas nos grenouilles, quand ils ont recouvré la santé, nous leur demandons de partir".

- Pas de violence entre les animaux, si je puis dire.
- Pas de violence envers les animaux.
- Sauf les guêpes.
- Oui, sauf les guêpes.

Fin d'une soirée, je reprends le chemin d'un monde au dehors, un monde où officiellement les bourreaux ont disparu, B. Ghola m'a offert deux cd's où BeNe GeSSeRiT est apparu récemment, trouvable sans trop de problème dans les bonnes crémeries, "Anatomy of a Maniac" chez 3patttes records, et "Family Gathering", aux Editions Grundbert Neumann, de quoi rajouter des sonorités à mon humble intérieur. Et vous.

--

C'était une interview de JM Charcot,
à la maison comme sur tous les fronts,
le doux l'aimable, le toujours votre.

un lien pour une discographie complète de BeNe GeSSeRit consultable ici : http://benegesserit.site.voila.fr/index.jhtml